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Centre Jean Bodin

Séparés par des virgules

Les premiers pas de l'acte notarié à distanceArticle de M.Julienne

Les notaires peuvent, temporairement, recevoir des actes authentiques à distance. La réception repose sur une visioconférence sécurisée et sur l’utilisation de signatures électroniques qualifiées. Ce décret du 3 avril alimente une réflexion plus générale sur l’acte notarié à distance.

L'épidémie de covid-19 et les mesures de confinement adoptées en vue de la juguler empêchent de recevoir les actes notariés dans les conditions habituelles. Le recours à une procuration sous seing privé permet de pallier certaines difficultés, mais il s’agit d’un pis-aller qui n’est du reste pas efficace à l’égard des actes dont le caractère authentique est requis à peine de nullité. Afin d’éviter que les justiciables soient, de manière prolongée, privés d’accès au service public notarial, le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 ouvre la voie à la réception d’actes authentiques à distance : « le notaire instrumentaire peut [...] établir un acte notarié sur support électronique lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées ».

Ce texte n’a rien d’anodin, qui touche à la manière dont le notaire peut recevoir l’expression d’un consentement dont il est le « témoin privilégié ». Il va beaucoup plus loin que l’article 20 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971, dans lequel deux notaires communiquent entre eux à distance, mais chacun en présence physique d’un client. Les circonstances exceptionnelles que nous vivons auront finalement eu raison des réticences traditionnellement exprimées par la doctrine à l’égard d’une réception « entièrement à distance », qu’elle estime souvent incompatible avec les exigences de l’authenticité (P. Catala, Le formalisme et les nouvelles technologies : Defrénois, 2000, p. 987, n° 20. – M. Grimaldi et B. Reynis, L’acte authentique électronique : Defrénois, 2003, p. 1023, n° 3. – L. Aynès (dir.), L’authenticité : Doc. fr., 2013, n° 124.. Il est vrai que l’évolution n’est pas achevée ni même définitive car le dispositif nouveau, conçu comme une mesure d’exception, est affecté d’un caractère temporaire : les actes devront de nouveau être reçus selon les modalités classiques à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

• Premiers pas de l’acte authentique à distance. – Reste que le droit français aura, pour un temps, fait l’expérience d’un véritable acte notarié à distance, dont on ne pourra plus dire avec autant d’assurance qu’il méconnaît les fondements de l’authenticité. Il n’est pas impossible que cette manière d’instrumenter soit, à terme, définitivement entérinée dans notre législation, après que la pratique y eut goûté. Ce qui fait aujourd’hui figure de mesure temporaire pourrait bien rétrospectivement constituer les premiers pas de l’acte authentique à distance. La France rejoindrait alors plusieurs pays européens ayant déjà mis en place des modalités de réception à distance faisant la part belle à la visioconférence (not. Autriche, Estonie, Lettonie). Le notariat se doterait ainsi d’un outil nouveau comblant les attentes d’une clientèle qui sollicite toujours davantage les interactions à distance (que ce soit avec une banque, une administration ou même un médecin), et répondant aux besoins des Français de l’étranger qui ne peuvent plus recourir aux services des postes diplomatiques et consulaires aujourd’hui privés de leurs attributions notariales (C. Nourissat, Fin programmée des attributions notariales des postes diplomatiques et consulaires : une opportunité à saisir ! : JCP N 2018, act. 808). Notons à cet égard que rien n’est dit, dans le présent décret, de l’endroit où devront se trouver les parties, ce qui ouvre potentiellement la voie à une réception transfrontalière.

On pourra naturellement discuter du bien-fondé de cette évolution, mais tout est ici affaire de degré : la question n’est pas de savoir si l’échange à distance est parfaitement semblable à une rencontre en face-à-face, mais s’il en est suffisamment proche. L’objet du présent décret n’est pas de constater une stricte égalité mais plutôt d’affirmer une équivalence (un peu comme la loi a mis au même plan l’écrit papier et l’écrit électronique en dépit de tout ce qui peut les séparer). Encore cette équivalence est-elle purement fonctionnelle. Le décret ne consacre pas à proprement parler l’idée d’une « présence virtuelle », mais admet plus modestement qu’une communication à distance puisse, à certaines conditions, pallier une absence (les parties ne sont, aux termes du décret, « ni présentes ni représentées » devant le notaire instrumentaire). La différence pourrait n'être pas que théorique car elle semble de nature à limiter indirectement les actes concernés : il pourra s’agir d’une vente ou d’un prêt aussi bien que d’une hypothèque, mais peut-être pas d’un acte exigeant la « présence » du signataire tel qu’une renonciation anticipée à l’action en réduction (C. civ., art. 930), un testament (C. civ., art. 973) ou encore un contrat de mariage (C. civ., art. 1394, al. 1er).

Certains regretteront qu’une innovation de cette ampleur soit portée par un texte de nature réglementaire, et l’on s’interrogera probablement sur sa conformité aux dispositions légales régissant l’acte authentique. Mais celles-ci sont, à la vérité, fort laconiques : l’article 1369 du Code civil évoque un acte « reçu, avec les solennités requises, par un officier public », sans vraiment définir la réception ni décrire précisément les formalités auxquelles elle donne lieu. 

• Visioconférence et signature électronique.  – Si l’on entre dans le détail, on constate que le décret du 3 avril 2020 autorise l’emploi de la visioconférence, tout en l’assortissant de certaines précautions.

Premièrement, il est prévu que « l’échange des informations nécessaires à l’établissement de l’acte et le recueil, par le notaire instrumentaire, du consentement ou de la déclaration de chaque partie ou personne concourant à l’acte s’effectuent au moyen d’un système de communication et de transmission de l’information garantissant l’identification des parties, l’intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat ». La formule n’est pas sans rappeler l’article 16 du décret du 26 novembre 1971 qui pose des exigences comparables pour tous les actes authentiques électroniques, à cette différence près qu’elles s’étendent ici à la communication du notaire et de son client – laquelle communication n’est plus directe mais intermédiée. La nécessité d’un agrément interdit concrètement de recevoir un acte à distance en recourant aux logiciels les mieux connus du grand public (WhatsApp, Face Time, Zoom, etc.). À l’heure actuelle, le seul système ayant obtenu l’approbation du Conseil supérieur du notariat, et répondant par conséquent aux exigences réglementaires, est LifeSize (http://visio.notaires.fr/).

Deuxièmement, le décret encadre la signature des parties. À l’extrême, il eût été concevable de s’en passer purement et simplement. L’acte authentique tire en effet sa force et son autorité de la signature de l’officier public, et s’il doit en principe comporter celle des parties, il arrive qu’il soit valable en leur absence. Tel est le cas lorsqu’un des clients ne sait ou ne peut signer (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 10, al. 3), mais aussi, d’une certaine manière, lorsque l’acte est établi sur support électronique et que, faute de disposer d’instruments permettant de le signer électroniquement, les parties y font figurer une simple « image » de leur signature manuscrite (D. n° 71-941, 26 nov. 1971, art. 17, al. 3). Au rebours de cette idée, les rédacteurs du décret ont estimé que la distance physique séparant le notaire et le signataire appelait un formalisme renforcé. Ainsi est-il prévu que « Le notaire instrumentaire recueille, simultanément avec le consentement ou la déclaration [...], la signature électronique de chaque partie ou personne concourant à l’acte au moyen d’un procédé de signature électronique qualifié répondant aux exigences du décret du 28 septembre 2017 [...] ».

• Rôle de la signature électronique.  –  En exigeant l’emploi d’un instrument « qualifié », le décret impose le plus haut niveau de sécurité reconnu par la nomenclature du règlement eIDAS du 23 juillet 2014 (n° 910/2014). Ceci limite nécessairement les offres auxquelles il sera possible de recourir : il semble que le seul prestataire actuellement agréé en France pour la délivrance de signature qualifiée soit DocuSign (ssi.gouv.fr/ uploads/2019_757_np.pdf), qui s’appuie lui-même sur les services de vérification d’identité développés par l’entreprise allemande IDnow. Tout cela ne paraît pas déraisonnable, puisqu’il s’agit ici d’établir un acte authentique doté d’une force probante particulière. Mais en raisonnant de la sorte, on confond la sécurité technique que peut offrir l’emploi d’un instrument de signature spécifique, avec la sécurité juridique que confère l’intervention d’un officier public. Avec la signature électronique du client, un nouveau personnage fait irruption dans le processus de réception : le « prestataire de services de confiance » chargé de délivrer le certificat de signature utilisé par le client (sur ce phénomène, V. M. Julienne, Pratique notariale et numérique : Dalloz IP/IT, févr. 2019, p. 96, n° 18 et s.).

Son intervention paraît complémentaire – plutôt que concurrente – à celle de l’officier public : elle permet une identification fiable des clients dans un contexte nouveau dont le notaire n’est pas encore familier, mais elle n’affecte en rien la réception du consentement en elle-même. On doit sans doute en déduire que si, en amont de la réception, IDnow ou DocuSign ne s’estiment pas en mesure de confirmer l’identité du client ou de lui délivrer un certificat, le notaire devra de son côté refuser d’instrumenter. L’article 5 du décret du 26 novembre 1971 ne semble ici d’aucun secours, puisqu’il dispense le notaire d’avoir à vérifier l’identité ou l’adresse de son client s’il les connaît déjà, mais ne dit rien de la signature électronique qui est ici clairement exigée par le décret. Que se passerait-il ensuite si, en aval, la signature faisait l’objet d’une contestation ? Après tout, la présomption de fiabilité d’une signature qualifiée peut toujours être renversée, et il n’est même pas sûr qu’elle fasse obstacle à une dénégation de signature ( en ce sens, M. Grimaldi, La signature électronique : JCP G, hors-série, déc. 2017, p. 29, n° 11).

• Authenticité de l'acte à distance. –  Mais à regarder les choses de plus près, ces considérations ne semblent pas pertinentes. Ce n’est pas en utilisant un outil de signature électronique que le client s’engage (sans quoi l’acte serait sous seing privé), mais en déclarant au notaire qu’il consent aux stipulations dont lecture vient de lui être donnée (et c’est pour cela que l’acte est authentique). C’est du reste ce qu’accrédite la lettre même du décret : si le notaire reçoit cette signature « simultanément avec le consentement » de la partie, c’est bien qu’il s’agit de deux choses distinctes et que la réception du consentement ne s’absorbe pas dans la formalité de signature. En admettant même que l’apposition de cette signature électronique constitue une modalité d’extériorisation de ce consentement, l’essentiel ne tiendrait pas pour autant aux qualités intrinsèques de l’outil utilisé, mais au fait qu’il l’a été à la vue du notaire et aux fins que celui-ci en porte témoignage. L’acte authentique fait foi « de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté » (C. civ., art. 1371), or il constate bien, dans le cas présent, l’expression du consentement du client. Cette constatation a certes lieu à distance, mais c’est précisément l’objet du décret que de tenir cette modalité pour équivalente à une rencontre physique.

Le cœur de l’acte à distance tel que le dessine le décret du 3 avril 2020 ne réside pas dans la technique utilisée pour la signature du client, mais dans l’intervention du notaire, qui donnera lecture de l’acte aux parties, les conseillera, répondra à leurs questions et recueillera leurs consentements au même titre qu’il l’aurait fait lors d’une rencontre classique en son office. Il n’y a par conséquent guère plus de sens à contester la signature électronique ici en cause qu’il n’y en aurait à contester la signature manuscrite apposée sur un acte notarié papier ou l’image tracée à l’écran lors de la signature d’un acte notarié électronique classique. Ou, plus exactement, une telle contestation est possible, mais relève de la procédure d’inscription de faux dans la mesure où elle tend in fine à mettre en cause la force probante d’un acte authentique.

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